saint Jacques et Compostelle
Un humoriste allemand sur les chemins de Compostelle

Je pars, Hans-Peter Kerkeling, Paris, les arènes, 2006 Traduction 2020 Antoine Robin ISBN9 782352 040521, 256p, 21€

Voici un récit de pèlerinage affecté d’un bandeau rouge annonçant qu’il a été déjà vendu à 2,5 millions d’exemplaires ! Réalité ou publicité me fait remarquer un correspondant allemand. Voila de quoi pousser à l’achat d’une unité supplémentaire et surtout de quoi faire pâlir de jalousie les multiples auteurs de récits qui n’ont jamais dépassé les 500 exemplaires et ne sont pas rentrés dans leurs frais car, bien sûr, ils ont édité à compte d’auteur.

On ouvre le livre, curieux. Pourquoi cette traduction d’un récit d’un pèlerin allemand ? Les Allemands auraient-ils une manière tellement spéciale de vivre le pèlerinage à Compostelle ? Serions-nous en présence d’un nouveau Paolo Coelho ?

Premières pages : ce pèlerin, arrivé à Bordeaux en avion, démarre son pèlerinage à Saint-Jean-Pied-de-Port. Rien d’extraordinaire ! Il aurait pu partir de chez lui à pied, comme tant de ses compatriotes. Mais il annonce tout de suite qu’il a 36 ans et qu’il n’est pas sportif. On peut comprendre. Le voilà qui attaque la montée de Roncevaux, jour de pluie et de brouillard. Le baptême est rude, il ne se rend même pas compte qu’il aurait pu se perdre et errer pendant des heures. A peine étonné de trouver un 4x4 qui lui économise quelques km de montée. Un peu plus surpris de voir surgir des pompiers qui lui ouvrent une fontaine alors qu’il meurt de soif : le premier des miracles du Chemin vécu par tout pèlerin marcheur. Pas de quoi fouetter un chat.

A Roncevaux, il est horrifié par la saleté du refuge et se fait réprimander par un hospitalier revêche lorsqu’il annonce qu’il part à l’hôtel. Il ne résiste pas longtemps au plaisir de se présenter : dès Pampelune, il explique qu’il est un acteur comique très connu en Allemagne. Voilà qui explique le chiffre des ventes ! Sur le chemin, beaucoup d’Allemands, mais personne ne le reconnaît, barbe et chapeau obligent. Pourtant, il signe dans les livres d’or non pas Hans-Peter, c’est trop bête, mais « Kerkeling ». Mais voilà qu’un soir il entend des Allemands s’esclaffer : « Incroyable, quelqu’un a signé Kerkeling. Il y en a qui ne sont pas gênés ! ». Cela ne se reproduira plus. Il change de look et maintenant (et jusqu’au bout) on le dévisage, on le reconnaît, on lui demande des autographes, on l’invite à pique-niquer. Ouf ! Quelques pages encore et on sait tout : il est catho, il a eu une bonne grand-mère, il est homosexuel, et il a un chat. Il est fan de Paolo Coelho et de Shirley Mac Lane. D’où l’attente des chiens sauvages… mais rien bien sûr. Il a le courage d’avouer qu’il s’est laissé berner.

Tout ça posé, il n’écrit pas mal, il est sympa, amusant et sincère : il avoue qu’il refuse tous les gîtes, prend le train, fait du stop ou fait porter ses bagages (pas souvent, il est vrai). Ses portraits de pèlerins montrent le professionnel (comique) capable d’écrire des sketches. A Triacastela, il ose parler de « prison pour pèlerins » en voyant à travers la verrière cassée d’un gymnase délabré, « des centaines de gens qui grelottent… ayant établi leur campement à même le plancher maculé de boue ». A la porte « une file immense de pèlerins complètement trempés » qui n’auront même pas la possibilité d’entrer. Il faut être comique et célèbre pour oser raconter ça. Contrairement à beaucoup de pèlerins, il n’a que de très rares prétentions historiques. En voilà une jolie : à la Cruz del Ferro, depuis 1000 ans les pèlerins apportent une pierre de chez eux et la posent là pour « faire disparaître tous leurs soucis ». Les malheureux moissonneurs qui arrivaient de Galice en Castille pour y gagner leur croûte doivent bien un peu se retourner dans leur tombe !

C’est amusant, moi qui ai parcouru le chemin en 1982 je ne reconnais rien. On dirait que les nouveaux chemins ont été dessinés exprès pour être conformes à l’idée du Moyen Age que se font aujourd’hui les pèlerins. On a dessiné un camino duro, on traverse une « vallée des sorcières » où on oblige ( ?) les pèlerins à marcher dans des lits de rivières et dans des forêts sombres où ils se perdent ou tombent. Rien vu de tout ça.

Comme d’autres, il s’indigne de la laideur des zones industrielles. Quand les Galiciens vont-ils enfin comprendre qu’il faut les raser pour plaire à davantage de pèlerins ? Ou installer des navettes d’autobus. Personne ne pense à traverser ces zones pour voir de quoi vivent et à quoi travaillent ces Espagnols du chemin qui font autre chose qu’exploiter les pèlerins. Deux aubergistes en tenue médiévale ont quand même plus d’allure.

Ailleurs, il prétend que le chemin est plein de papillons et que, si on se perd, on ne les voit plus. A quand un zoologiste pèlerin qui pourra confirmer ce miracle permanent ? Une marche de 7 km sur une nationale déclenche deux pages de littérature. Comment, les Espagnols n’ont-ils pas encore fait assez de fausses chaussées romaines ? Notre comique devient sérieux en pensant à se plaindre auprès du roi d’Espagne. Un peu plus loin, il rencontre une Néo-Zélandaise de 46 ans qui a appris à l’école la « célèbre chanson française des pèlerins » : « Tous les matins nous prenons le chemin, tous les matins nous allons plus loin. Jour après jour la route nous appelle, c’est la voix de Compostelle » (en français dans le texte).

Les dernières pages m’ont semblé laborieuses, les trois dernières présentent la philosophie habituelle des récits de pèlerins et sont moins alertes. Dommage ! L’auteur sait (p. 195) qu’il est inconnu en France, et sans doute ailleurs ; mais tant pis, son éditeur allemand vend à tour de bras des droits de traduction. Espérons que les traducteurs sont bien payés. Quelques photos en noir et blanc agrémentent le livre dont le succès aurait justifié des illustrations en couleur. Il n’est sans doute pas nécessaire d’acheter un exemplaire de plus.

Denise Péricard-Méa


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