saint Jacques et Compostelle
Une idée éditoriale intéressante mal servie par un auteur incompétent
La quatrième de couverture présente cet Abécédaire avec le slogan « pour ne pas pérégriner idiot » ... Ce n’est vrai que pour les lecteurs qui exerceront leur esprit critique à chaque définition. Il doit leur être possible de trouver 200 erreurs ou imperfections dans les 200 définitions qu’il propose. Le défi est ouvert !

ABECEDAIRE des chemins de Saint-Jacques Sophie Martineaud, RANDO éditions, IBOS, mars 2020 ISBN 978 2 84182 371 0, 126 pages, 9,90€

Consacré aux chemins de Saint-Jacques, cet Abécédaire s’éloigne de la présentation classique des quatre chemins prétendus historiques (il montre ainsi la variété des itinéraires traversant les Pyrénées). L’éditeur s’est sans doute aperçu qu’il était bon de diversifier les chemins pour augmenter la production de guides. L’intérêt commercial sert ici la vérité historique. Mais le dernier Livre du Codex Calixtinus, est toujours présenté comme un guide du pèlerin médiéval, prestigieux ancêtre des collections actuelles.

A part cette nouveauté, il colporte la plupart des erreurs traditionnelles sur le sujet. Il continue ainsi à faire de tout élément du patrimoine jacquaire une marque d’un chemin de Compostelle. Ainsi, l’article « Europe » (p. 32), reprend sans hésitation les informations du Guide européen des chemins de Compostelle (1987) de Bourdarias présentant des itinéraires « ponctués de témoignages jacquaires » ; et la p. 54 voit « des témoignages de l’ancien chemin dans un joyau roman …, une coquille au linteau d’une porte, un clocher marqué d’une pierre blanche, ou la présence d’arcs polylobés ». Tout ceci est largement dépassé.

A côté des chemins et de leurs hauts lieux, l’éditeur a eu l’heureuse idée de présenter des pèlerins historiquement attestés, glanés çà et là dans les ouvrages existants. La démarche aurait été intéressante si elle avait conduit à une réflexion sur les pèlerins et leurs itinéraires. Malheureusement à côtés de ces voyageurs bien réels, l’ouvrage continue à parler de pèlerins « en général ». Ils « entraient par ici », « ils passaient par là », « ils franchissaient telle rivière » … sans jamais dire de façon précise de quels pèlerins il s’agit ni de quelle époque et en présupposant qu’il s’agit de pèlerins de Compostelle.

Le ton général est classique pour ce genre d’ouvrage, c’est l’exagération. En outre, un nombre important d’imperfections, d’erreurs, de marques d’ignorance, d’affirmations non étayées, jalonne l’ouvrage dont le français est parfois approximatif et qui visiblement n’a pas été relu. Ceci est d’autant plus gênant que la présentation alphabétique conduit à de très nombreuses redites d’une définition à l’autre, voire parfois à des contradictions.

Cet ouvrage présente néanmoins deux ou trois définitions qui sortent du discours convenu :

- il met en lumière l’importance de la colonisation franque le long du Camino francés et n’attribue pas ce nom au passage des pèlerins français. Par contre il laisse supposer que tous les colons francs sont d’abord allés à Compostelle avant de s’implanter, ce qu’aucun texte n’a jamais justifié.

- il évite l’erreur consistant à donner à l’ordre de Santiago une mission de protection des pèlerins, mais il l’attribue par ailleurs, à tort, à d’autres Ordres comme les Templiers,

- il reconnaît l’importance d’autres grands sanctuaires de pèlerinages et des pèlerinages locaux (p.70).

L’ouvrage est agrémenté d’illustrations pour la plupart bien connues. Elles contribuent à l’impression d’ensemble de promotion d’une vision traditionnelle et dépassée du pèlerinage à Compostelle.

Par sa présentation alphabétique, cet ouvrage peut faire penser au Dictionnaire de saint Jacques et Compostelle (éditions Gisserot, Paris, 2003). C’est le seul point commun entre eux. Alors que le dictionnaire propose 1000 définitions, l’Abécédaire en offre un peu moins de 200 pour un prix qui est supérieur de 2 €. Pour ceux qui aimeraient le glisser dans leur sac, l’Abécédaire est plus lourd.

Voici une liste des principales erreurs ou imperfections relevées à la lecture de cet ouvrage (les nombres renvoient aux numéros des pages) :

5 : Les ampoules, « sujet de préoccupation de cette marche », de la marche ou des marcheurs ?

8 : Montpellier située sur la voie d’Arles, entre Saint-Guilhem-le-Désert et Lodève.

13 : « Le Botafumeiro est déjà mentionné au XIVe siècle dans le Livre de Saint-Jacques », lequel date du XIIe siècle. L’encensoir de l’orfèvre Losada est au musée, celui qui est en service actuellement est une copie des années 1970.

14 : Contrairement à ce qu’affirme l’auteur, il y a encore des accueils où se pratique le donativo.

17 : La carte mentionnée date de l’exposition de 1965 et non 1958. René de la Coste- Messelière a été l’initiateur et le principal promoteur de cette exposition, il est faux de dire qu’il « y collabora en grande partie ».

24 : Quel est le sens de cette affirmation : « Le pèlerinage compostellan …sera fréquemment appelé Voie lactée … » ?

29 : Contrairement à ce que laisse entendre l’article sur la décollation, le martyre de saint Jean-Baptiste est antérieur à celui de saint Jacques.

30 : L’architecture des grandes églises de pèlerinage est bien antérieure au XVe siècle. Cette architecture n’a pas été développée à la suite de la bousculade du Puy en 1407 qui a eu lieu à l’extérieur. Les édifices construits pour accueillir les pèlerins n’étaient pas des « basiliques de pèlerinage ».

33 : Léon de Rozmital a bien mentionné l’épisode d’un de ses compagnons coincé dans les rochers où se serait réfugié saint Jacques mais il le situe à Padron (ce qui est exact) et non au cap Finisterre (p. 68).

34 : « Flamel fut inhumé dans l’église Saint-Jacques », l’auteur n’a pas recopié complètement sa documentation, il s’agit de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie à Paris. C’est sur l’Aubrac que Bartolomeo Fontana a failli périr dans une tempête de neige.

35 : Saint Bonaventure n’a pas mentionné le pèlerinage à Compostelle de saint François.

37 : « Gelmirez obtient du pape Calixte II que l’année 1100 … soit décrétée "Année de Saint-Compostelle" ». Quel peut bien être ce nouveau saint ?

38 : L’article sur Godescalc indiqe que la « Vierge noire attira des pèlerins au Puy dès le très Haut Moyen Age ». Plus loin, p. 78, il est mentionné que cette statue est un don de saint Louis en 1254.

39 : Godescalc n’a pas attendu au monastère d’Albelda que la copie soit terminée, il l’a prise à son retour. L’article sur les GR indique que le GR 65 au départ du Puy « s’inscrit dans la continuité du tronçon Genève-Le Puy » alors que le second a été tracé plus de 20 ans après le premier. On retrouve le contraire à la p.75. Le GR 653D au départ du Mont Genèvre a été inauguré au printemps 2020 (il n’est plus en projet).

40 : Aimery Picaud n’a pas rédigé un guide du pèlerin, ce titre a été donné au dernier Livre du Codex Calixtinus en 1938. Aucun pèlerin ne s’est jamais servi des écrits d’Aimery Picaud comme guide avant la fin du XIXe siècle.

42 : L’article sur les hospices relève de la fantaisie : « une chaîne d’hospices va se mettre en place » … les historiens spécialistes de Cluny n’ont jamais mis en évidence la création d’abbayes pour les pèlerins. L’emploi du mot hospice pour désigner un lieu d’accueil est beaucoup plus tardif (voir dictionnaire de Jean Rey), le terme maison-Dieu employé in fine est le seul correct.

43 : L’auteur écrit que les éléments architecturaux de l’hôtel de Cluny sont « sans nul doute » rattachés au pèlerinage de Saint-Jacques », les armoiries de Jacques d’Amboise comportaient coquilles et bourdons, cela suffit-il à effacer tous les doutes ?

44 : La date de 1179 pour le premier jubilé de Compostelle se réfère à un document qui est un faux, les années saintes ne sont pas antérieures au premier jubilé de Rome en 1300.

45 : Les Itinéraires de Bruges qui datent du XVe siècle n’ont rien à voir avec le pèlerin Jean-Pierre Racq, parti de Bruges, canton de Nay dans les Pyrénées-Atlantiques dans la seconde moitié du XVIIIe. L’épisode de la pêche miraculeuse ne se situe pas lors de l’appel de Jacques et Jean par le Christ.

48 : La traduction de l’allemand « Niederstrasse » en « route basse » aurait mérité une explication.

49 : L’association des amis de Saint-Jacques de Compostelle n’a pas été fondée par René de La Coste Messelière en 1970. Il s’agit de la Société des Amis de saint Jacques à Paris, fondée en 1950 à laquelle René de La Coste Messelière adhéra ultérieurement et qu’il présida à la mort du fondateur, Jean Babelon. René de La Coste Messelière n’avait pas de « privilège spécial pour entrer dans la cathédrale de Santiago à cheval » au titre de la promotion des chemins. Il était chevalier de l’ordre de Malte au titre de ses quartiers de noblesse et il se plaisait à dire qu’à cause de cela il pouvait entrer à cheval dans n’importe quelle église. « On ira jusqu’à dire qu’il (René de La Coste Messelière) incarnait saint Jacques à lui tout seul ». Qui est ce « On » dont l’autorité permet de répéter une pareille stupidité ?

55 : A propos du pèlerinage de Louis VII, l’article reprend, en l’enjolivant, l’hypothèse douteuse d’Arieh Graboïs dans un article de 1988, sans qu’il soit cité dans la bibliographie et sans la moindre réserve.

62 : Moissac n’est pas la seule étape mentionnée par Aimery Picaud, Conques l’est également (p. 25).

65 : « Le mot « pèlerin » trouve son origine dans le latin peregrinus qui signifie étranger ou voyageur. Ce concept va évoluer avec les époques pour prendre une connotation religieuse vers l’An Mil et revenir à son concept primitif avec les temps modernes ». Faut-il en conclure que le pèlerin est un concept sans signification religieuse ?

67 : Les Templiers n’ont pas élargi leur action aux pèlerins de Compostelle (voir les travaux d’Alain Demurger).

68 : L’article sur Padron contredit ce qui est écrit à propos de Finisterre. L’hôpital Saint-Jacques-aux-pèlerins a certes été construit par la confrérie Saint-Jacques (qui était bien une confrérie d’anciens pèlerins) mais il n’était pas « destiné à accueillir les jacquets traversant la capitale ».

69 : Répétition de ce qui a été dit au sujet de l’hôtel de Cluny.

71 : L’adjectif « multirécidivistes » s’applique généralement à ceux qui font le pèlerinage plusieurs fois plutôt qu’à ceux qui rentrent à pied.

75 : « Godescalc … s’attache à faire de sa ville un grand point de départ vers le sanctuaire galicien », cette affirmation n’est étayée par aucun document historique. « Au fil du GR 65, l’itinéraire suit en grande partie l’authentique voie des pèlerins », cette affirmation n’est pas conforme aux témoignages des personnes qui, au début des années 1970, ont tracé ce GR au départ du Puy. Ils ont honnêtement précisé que rien ne leur a indiqué l’authenticité de l’itinéraire qu’ils ont retenu. « Le GR 65 est prolongé en amont vers Genève », c’est exact mais à la page 39 c’est l’inverse qui est écrit.

76 : Le miracle de Barcelos est plus impressionnant ici que dans n’importe qu’elle version de cette légende puisque le pèlerin est dépendu avant même d’avoir quitté la salle à manger du juge. Pourquoi annoncer la nécessité de six mois de préparation ? Est-ce pour effrayer les futurs pèlerins ou pour donner plus d’ampleur à l’aventure qu’ils vont vivre ?

78 : « Godescalc consacre sa ville grand point de départ vers le sanctuaire galicien », voir p. 75 « Peu à peu, des millions de pèlerins affluent vers le Puy qui devient un grand carrefour de pèlerinages vers Rome ou Saint-Jacques de Compostelle », affirmation gratuite. L’affirmation sans nuance de la date de 992 comme premier jubilé du Puy est une insulte au lecteur confiant dans la qualité de l’éditeur et de l’auteur. Voici ce que dit le site officiel du diocèse du Puy à ce sujet : " Certaines sources parlent d’un premier Jubilé au Puy en 992 sur l’initiative de l’évêque de l’époque, Guy II d’Anjou. Le problème est que l’on n’a aucun document permettant d’étayer une origine aussi ancienne des Jubilés du Puy. C’est pourtant à partir de ce Jubilé hypothétique de 992 que sont comptés les Jubilés du Puy."

79 : « La chaîne des Pyrénées constitue la grande épreuve de ce périple … », encore une exagération ! « Visiter le sanctuaire de Pilar à Saragosse » … Qui est Pilar ? Il s’agit sans doute du sanctuaire de Notre-Dame du Pilar et d’une négligence de relecture.

80 : D’où pouvaient bien venir les pèlerins parcourant « des distances incommensurables » ? Pourquoi vouloir distinguer entre « vrais pèlerins et simples voyageurs » ? Le dernier Livre du Codex Calixtinus est présenté comme un récit de pèlerinage ce qu’il n’est pas.

87 : La relation de voyage en tchèque que semble connaître l’auteur est perdue depuis le XVIe siècle, il n’en reste qu’une version en latin. Léon de Rozmital a certes rencontré René d’Anjou, roi de Sicile mais, plus important, Louis XI, roi de France, ce qui était l’un des buts de son voyage. Cela semble avoir échappé à l’auteur qui a sans doute lu trop rapidement ses informations. Son voyage n’a pas duré neuf mois. Le départ a eu lieu en novembre 1465 et le retour en février 1467.

99 : A Toulouse, « le pèlerinage compostellan est omniprésent » car l’auteur rapporte à la capitale galicienne tous les témoignages locaux de cultes à saint Jacques, oubliant que la ville a possédé, elle aussi un corps du saint.

101 : L’utilisation du mot translation des reliques pour « leurs sorties à l’occasion d’une fête religieuse » est une erreur, il s’agit dans ces occasions d’ostension, pas de translation.

104 : Cet ouvrage entretient la mauvaise foi et l’ambiguïté : l’auteur écrit « les chemins de Saint-Jacques ont été classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO », tout en notant qu’il n’y a « que 71 monuments inscrits et 7 tronçons du chemin du Puy » et « cette inscription concerne notamment les monuments historiques … ». Les chemins en France ne sont pas inscrits au patrimoine mondial dans leur totalité, contrairement au Camino francés.

113 : « Union des associations jacquaires, domiciliée à Montrouge », information vieille de plus de 5 ans. Cette association a changé de nom et d’adresse.


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