saint Jacques et Compostelle
Une tradition qui remonte au XIVe siècle
De la réalité à la légende (mercredi 5 décembre 2007)

Quand le personnage n’est pas allé à Compostelle de son vivant, ses biographes finissent par l’y envoyer. Ce pèlerinage était-il nécessaire à sa sainteté ou Compostelle a-t-elle besoin pour son aura de la visite de saint bien connus ?

Propagées par les papes ces légendes deviennent des faits historiques.

De la réalité à la légende

Les deux premiers biographes de saint François ( 1182-1226), Thomas de Celano et saint Bonaventure, qui écrivent avant la fin du XIIIe siècle ne disent mot de ce pèlerinage [1].

Première légende, « Les petites fleurs de saint François »

La première relation du pèlerinage à Compostelle apparaît au XIVe siècle dans un texte titré Actus beati Francisci et sociorum ejus (Actes du bienheureux François et de ses compagnons), traduit ensuite en italien sous le titre Fioretti, puis en français sous celui de Les petites fleurs de saint François [2].

"Au principe et fondement de l’Ordre, quand il y avait peu de frères, et n’étaient encore établis les couvents, saint François pour sa dévotion alla à Saint-Jacques en Galice et mena avec soi quelques frères, entre lesquels l’un fut frère Bernard (de Quintavalle) ; et allant ainsi ensemble par le chemin, trouva en une terre un pauvre infirme, duquel ayant compassion dit à frère Bernard : fils je veux que tu reste ici à servir cet infirme ; et frère Bernard s’agenouillant et inclinant le chef, reçut l’obéissance du père saint et resta en ce lieu. Et saint François avec les autres compagnons s’en alla à Saint-Jacques. Etant arrivés là et demeurant la nuit en oraison dans l’église de saint Jacques, fut par Dieu révélé à saint François qu’il devait établir moult couvents par le monde pour autant que son ordre devait multiplier et croître en grande multitude de frères. Et par cette révélation commença d’établir saint François des couvents en ces contrées. Et retournant saint François par le chemin de l’aller, retrouva frère Bernard et l’infirme avec qui il l’avait laissé et qui était parfaitement guéri ; dont saint François concéda l’année suivante à frère Bernard qu’il allât à Saint-Jacques."

Un Ange vient visiter le couvent et est jeté dehors par un frère indigne.

"En ce même jour, en cette heure que cet Ange se partit, il apparut à frère Bernard, qui retournait de Saint-Jacques, et était sur la rive d’un grand fleuve ; et le salua en son langage, disant : Dieu te donne paix, ô bon frère. Et s’émerveillant fort frère Bernard, et considérant la beauté du jouvenceau et le parler de sa patrie … L’Ange dit à frère Bernard : Pourquoi ne passes-tu delà ? Répondit frère Bernard : parce que je crains le péril pour la profondeur de l’eau que je vois. Dit l’Ange : passons ensemble, n’aie crainte ; et prit sa main et en un clin d’œil le mit de l’autre côté du fleuve. Alors frère Bernard connut qu’il était l’Ange de Dieu… L’Ange disparut et laissa frère Bernard moult consolé, à tant qu’il fit tout ce chemin avec grande allégresse."

C’est pourquoi à Viana sur l’Ebre est une église Saint-François, construite, dit-on, en souvenir de ce miracle. Mais quand ?

L’amplification de la légende

Par les gascons

Dans ce même XIVe siècle, vers 1370, le franciscain Arnaud de Sarant, gascon et Ministre Provincial des frères mineurs d’Aquitaine compose la Chronique des vingt-quatre Généraux [3] dans laquelle il rassemble « tout ce qu’il put trouver au sujet de saint François ». A plusieurs reprises, il y mentionne explicitement le séjour de François à Compostelle, ainsi que la fondation qu’il aurait faite des couvents de Burgos et Logrono sans qu’on puisse y trouver, là encore, la moindre preuve.

Par les espagnols

La même tradition se retrouve à Santiago, sans doute née avec le premier couvent franciscain de la ville : saint François, pendant son séjour, reçut l’hospitalité d’un pauvre charbonnier, nommé Cotolay. La demeure de celui-ci s’élevait sur une colline qui dominait deux petites vallées, le « Val de Dieu » et le « Val d’Enfer ». Etant en prière, François eut la révélation que Dieu voulait la présence d’une communauté de ses frères à Compostelle. Il adressa aussitôt une requête en ce sens à l’Abbé de Saint-Martin, l’un des deux établissements bénédictins de la ville, propriétaire des lieux. Au père Abbé qui exigeait du « pauvre pèlerin » le paiement du terrain choisi, François répondit : « Je n’ai pas d’argent, mais je promets de te donner, chaque année, pour ces deux vallées, une corbeille de poissons ». Marché conclu. Tout heureux, François revint alors chez son hôte, et lui dit : « C’est la volonté de Dieu que tu te charges de construire un couvent de mon Ordre dans les vallées de Dieu et de l’Enfer... » Mais Cotolay se mit à protester vigoureusement contre cette invitation : « Comment pourrais-je faire ce que tu me demandes ? Tu ne peux pas ignorer que je suis un pauvre salarié, vivant du seul produit de mon travail ! ». - « Aie confiance », lui répondit François, « prends une bêche, creuse autour de la fontaine la plus proche ; tu y trouveras l’argent nécessaire à la construction du couvent ». Cotolay obéit, et tout se passa comme l’avait dit [4].

Comme souvent, l’histoire vraie se bâtit sur la foi d’une légende, car, pendant de longs siècles, le couvent des Frères Mineurs a payé exactement le tribut des poissons ! un document d’archives témoigne encore de cette pratique au XVIIIe siècle : un reçu délivré aux Franciscains locaux par l’Abbé de Saint-Martin, le 21 Mars 1733, pour la remise « d’une corbeille de poissons (una cestilla de peces) ».

Tout en admirant la légende, ne pas en faire une vérité historique

Aucun historien spécialisé dans les études franciscaines ne parle d’autre chose que de légende. L’un d’eux, Raoul Manselli, pense même que François n’est pas allé en Espagne. Il note que ses buts ne sont pas le pèlerinage, mais le désir d’aller au-devant des musulmans et, par delà, au martyre. Tout ceci n’empêche nullement d’apprécier pour elles-mêmes ces légendes pleines de rêve et de conclure, comme le fait un pèlerin d’aujourd’hui qui a cherché à savoir : « Si François n’a pas atteint Compostelle, son esprit de dépouillement est bien vivant tout au long du Chemin, et c’est même là, à mes yeux, la clef du pèlerinage ». Nul besoin donc de chercher à tromper en rendant « hautement probables les traditions du passage de François à Santiago ».

Que chacun trouve sa clef pour ouvrir la raison de sa démarche, voilà qui est trop intime pour que l’historien ait le droit de s’y immiscer. Son intervention se limite à distinguer les textes authentiques des autres et à retrouver les traces historiques de la naissance des légendes…

[1] Thomas de Celano : Vita prima, 56 ; Tractatus de miraculis, 34. Saint Bonaventure, Legenda Major, 9/6.

[2] Edition Paul Sabatier, Paris 1902, p.11

[3] Analecta Franciscana, t.3, Quaracchi-Florence, 1897, p. 9, 38, 76, 189 ; Péano, Pierre, ofm, Archivum Franciscanum Historicum, t. 75, 1982, p.99-100

[4] FrançoisLopez, Atanasio, ofm, Archivo Ibero-Americano, Madrid, t.1, 1914, p.28-34 ; Beaulieu, Ernest-Marie de, fm cap, dans Etudes Franciscaines, Paris , t.16, 1906, p.66-69


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