saint Jacques et Compostelle
Du Ier au XIIe siècle, les textes qui ont "fait" Compostelle
une approche chronologique détaillée proposée par Bernard Gicquel (lundi 22 octobre 2007)

Sommaire

On parle souvent du Codex Calixtinus et encore plus du Guide du pèlerin. Mais qui sait vraiment d’où viennent ces textes ? Par qui et quand ils ont été composés ?

La Fondation David Parou Saint-Jacques a pris l’initiative de faire publier une traduction intégrale et des commentaires du Codex Calixtinus réalisés par Bernard Gicquel, professeur honoraire à l’Université du Maine, auteur de l’article ci-dessous. Ce livre donne les informations les plus détaillées et les plus récentes actuellement disponibles en langue française sur ces sujets.

La légende de Compostelle a été publiée par les éditions Tallandier. Elle est disponible en librairie depuis le 6 juin 2003. ISBN : 2.84734.029.7, diffusion Seuil. prix 27 Euros. commander

Chronologie

1er siècle : Dans de brefs mais décisifs passages de l’Évangile, saint Jacques est mentionné en même temps que Pierre et Jean. Seule une phrase des Actes des Apôtres le concerne isolément, celle qui rapporte sa décollation. En l’absence d’ informations plus précises sur lui, sa qualité d’Apôtre, envoyé par Jésus, comme tous les disciples, "jusqu’à l’extrémité de la terre", incitera à se représenter qu’il a dû aller jusque au bord de l’océan.

4e-5e siècle : Les Commentaires de saint Jérôme, inspirés de l’Épître aux Romains, soulignent la place de l’Espagne dans la diffusion du message chrétien en opposant celle-ci à l’Illyrie. L’évangélisation du monde y apparaît en relation avec le mouvement apparent du soleil d’Est en Ouest, tandis que chaque apôtre est censé reposer là où il a prêché l’Évangile.

6e siècle : Les catalogues apostoliques apocryphes, qui suivent le plus ancien attribué, à tort, à saint Jérôme, mentionnent pour saint Jacques, sa prédication en Espagne, son tombeau en Achaïe Marmarique, et sa fête le 25 juillet. Le premier thème découle d’une contamination avec saint Paul, le second d’une confusion avec saint Jacques le Mineur, le troisième d’une assimilation avec le dieu antique Hermès/Mercure dont la fête se célébrait à cette date, le jour de la Canicule, et qui, selon Tite-Live, possédait en Espagne son tombeau (tumulus Mercurii, près de Carthagène). Jacques et Jean représentent, en outre, dans le registre chrétien les Dioscures, Castor et Pollux, auxquels sont attribués les deux crépuscules du matin et du soir.

Dans le quatrième livre de son Histoire du combat apostolique, composée en Gaule Narbonnaise, qui rapporte l’évangélisation du monde par les Apôtres et leur martyre, un auteur qui signe du pseudonyme Abdias, évêque de Babylone, fournit un récit détaillé du martyre de saint Jacques. Ce récit démarque la rencontre de saint Philippe avec Simon le Magicien en racontant la conversion du magicien Hermogène et de son acolyte Philète, dont le nom est emprunté à la deuxième épître de saint Paul à Timothée. Il s’inspire aussi de la vie de saint Pierre guérissant un paralytique sur le chemin de Lydde, pour montrer saint Jacques faisant de même, et convertissant deux sbires, à l’instar de saint Paul et des deux archers de la garde impériale envoyés pour le conduire au supplice.

8e siècle :Une hymne de la liturgie mozarabe, datable de la fin du 8e siècle, parce qu’elle comporte un acrostiche du roi asturien Mauregat (783-789) célèbre saint Jacques comme l’évangélisateur et le patron de l’Espagne. De nombreuses églises dédiées à saint Jacques sont construites dans le Nord du pays.

9e siècle : Le tombeau de saint Jacques est découvert dans les premières décennies du 9e siècle. Aucun texte galicien relatant directement sa découverte et les raisons de son identification n’a été conservé. La mention de l’Achaïe Marmarique dans les catalogues apostoliques, la plupart du temps déformée par la tradition manuscrite, a pu suggérer l’identité avec le lieu du tombeau appelé arcis marmoricis. Les martyrologes français d’Adon et Usuard qui évoquent le tombeau face à la mer de Bretagne, à la suite de la version messine de Florus, pourraient être les premiers reflets textuels de cette Invention.

10e siècle : La première version de la Lettre apocryphe du pape Léon (vraisemblablement Léon III, grand pourfendeur du priscillianisme) rapporte la translation des reliques de saint Jacques à Compostelle, en opérant la synthèse de deux récits :

a) celui qui relate la translation de l’hérétique Priscillien, dont l’acrostiche apparaît en filigrane à travers les toponymes (Bisria + Ilicinus = Priscillianus) ;

b) celui qui raconte l’évangélisation de l’Espagne par sept apôtres, selon le modèle de la légende grecque des sept dormants. La première version de la lettre papale donne lieu à la rédaction d’hymnes liturgiques chantées lors des offices par les pèlerins et dont le texte diffusera la connaissance de saint Jacques en dehors de la Galice. Il existe trois versions épistolaires postérieures de ce texte, qui diffèrent toutes par quelques détails ; la dernière est reprise dans les compilations attribuées au pape Calixte.

11e siècle : 1005 ou 1027 : Sans doute en liaison avec le prieuré normand de Saint-James de Beuvron, la translation des reliques fait l’objet d’un sermon d’apparat à Fleury (aujourd’hui Saint-Benoît-sur-Loire). 1072 : Un accord passé entre l’évêché de Compostelle et le monastère d’Antealtares sur le partage des bénéfices pendant la construction de la cathédrale débute par un paragraphe qui raconte l’invention du tombeau par l’évêque Theodemir, à la suite d’une révélation faite à l’ermite Pélage, fondateur du monastère.

12e siècle :

1103 : Peut-être en relation avec une visite de Diego Gelmirez, évêque de Compostelle, à Saint-Martial de Limoges, le récit de translation dit de Gembloux est rédigé dans la forme d’une liturgie de Saint Martial. Il sera repris dans les compilations placées sous le patronage du pape Calixte.

1105 : Sans doute à l’occasion de la dédicace de la cathédrale de Compostelle, le 21 avril, soit un an jour pour jour après la basilique de Vézelay, maître Panicha refond les hymnes liturgiques attribuées au pape Léon qui figureront désormais sous cette double attribution.

1120 : A l’occasion du concile de Reims, qui représente un moment important dans le conflit des investitures, le pape Calixte II fait rédiger à Saint-Denis, entre autres par Hugues de Porto, représentant de Diego Gelmirez au concile, l’histoire de Charlemagne et de Roland en latin. Celle-ci, connue actuellement sous le nom de Chronique du pseudo-Turpin est une autobiographie fictive attribuée à Turpin, archevêque de Reims, pour inciter la chevalerie française à partir en croisade en Espagne. Le pape Calixte meurt à la veille de Noël 1124, avant que ce projet n’ait été exécuté. Mais le texte du Pseudo-Turpin deviendra un des plus répandus au Moyen Age (plus de 300 manuscrits). C’est lui qui imposera aux siècles ultérieurs l’image du preux Roland, dont la Chanson en langue romane, beaucoup moins répandue - on n’en connaît qu’une dizaine de manuscrits -, ne sera redécouverte qu’après 1830.

1131-35 : Sur arrière-plan de schisme pontifical, le patriarche de Jérusalem, Guillaume de Messines, envoie le chanoine régulier de saint Augustin Aimeric Picaud à Compostelle par Cluny, pour rallier Diego Gelmirez à la cause du pape Innocent II. Aimeric est porteur de pièces liturgiques et de miracles composés par Guillaume de Messines en l’honneur de saint Jacques. Il accroîtra en cours de route sa collection de miracles italiens, de miracles de saint Gilles et de miracles rhodaniens en remontant vers Cluny, puis d’emprunts aux miracles de saint Léonard en redescendant vers Compostelle, où il recueillera enfin quelques miracles espagnols. Sa collection ne va pas au-delà de 1135. Les chanoines de Compostelle, jusque là sous la règle de saint Isidore et seulement associés aux chanoines réguliers de saint Augustin, deviennent alors des Augustins à part entière. C’est aussi l’année ou s’achève la cathédrale de Compostelle, et les Miracles qui montrent saint Jacques protégeant inlassablement ses pèlerins sur les chemins sont bien faits pour inciter les fidèles à ne pas redouter les dangers du pèlerinage. La Translation de Marchiennes qui mentionne la pierre, trouvée lors de la réfection de l’église de Padron en 1134 et qui aurait pris la forme du corps de saint Jacques est sans doute contemporaine.

1139 : La mort de Diego Gelmirez marque l’achèvement de l’Historia Compostelana écrite à sa gloire et dans laquelle figurent un récit de Translation des Reliques et un récit de l’Invention du Tombeau. L’ancien abbé de Vézelay, Albéric, cardinal d’Ostie, et légat pontifical, ajoute le dernier miracle à la collection d’Aimeric Picaud et suggère peut-être de placer un recueil des textes jacquaires que l’on possède sous le patronage du pape Calixte II.

1140 : La première version de cette compilation comporte la Chronique de Turpin dans sa version brève, la lettre-préface du pape Calixte, un dossier sur la Translation, - avec la quatrième version de la lettre du pape Léon, la Translation de Limoges/Gembloux et les trois solennités de saint Jacques - , et les Miracles, attribués au pape Calixte. Cette compilation ne paraît pas avoir de titre.

1144-45 : La compilation qui prend le nom de Liber Miraculorum sancti Jacobi change l’ordre et la nature de ses composantes. Les Translations passent en tête, et sont suivies des Miracles, puis de la version longue de la Chronique de Turpin. Entre ces recueils apparaissent des textes satellites, sur saint Eutrope de Saintes, sur les Navarrais, sur la mort de Turpin, sur l’émir de Cordoue, etc. A la fin de la compilation figure un poème d’Aimeric Picaud, qui n’est qu’une table des matières versifiée du recueil de miracles, ainsi qu’une authentification apocryphe de l’ensemble par le Pape Innocent II, elle-même confirmée par des cardinaux.

1160 : Les textes satellites isolés tendent à se regrouper en un volume qui occupe la quatrième place (ils sont connus depuis 1938 sous le nom de Guide du Pèlerin). Une très vaste compilation liturgique de sermons et d’offices prend la première place, les Miracles la seconde, tandis que les Translations passent à la troisième. Le Pseudo-Turpin semble avoir été provisoirement écarté au profit de textes plus spécifiquement religieux. Cette forme du recueil pourrait être contemporaine de la réalisation du Portail de la Gloire de la cathédrale.

1165 : La canonisation de Charlemagne redonne une actualité religieuse au Pseudo-Turpin et incite à le réintégrer parmi les autres textes. Il y prendra la quatrième place, entre les Translations et le Guide du Pèlerin qui glisse à la cinquième. C’est la forme sous laquelle se présente aujourd’hui le Codex Calixtinus ou Livre de Saint Jacques de Compostelle, ouvrage de luxe dont les copies ont été très peu nombreuses, tandis que diverses versions du Liber Miraculorum sancti Jacobi qui en est la source ont continué à être diffusées au XIIIe et au XIVe siècle.

Bernard Gicquel, 2002

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Le songe de Charlemagne à Aix-la-Chapelle


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