saint Jacques et Compostelle
L’idéal en 18 points (samedi 8 novembre 2008)

Paru en 1512, Pilgerschaft de Jean Geiler de Kaysersberg est un enseignement sur la vie spirituelle du chrétien. L’auteur y fait référence à un pèlerin en route vers un sanctuaire. . Ce n’est qu’un prétexte pour rendre son propos plus vivant. Geiler a l’habitude d’utiliser des images pour capter l’attention de son auditoire. Il s’adresse pourtant à des gens bien sédentaires, cela ne fait aucun doute, puisqu’il prêche principalement devant un auditoire de conventuels. Ce texte est divisé en dix-huit paragraphes relativement courts. Nous présentons une traduction de Christiane Koch. L’introduction, les points 2 et 3, ainsi que le point 18 qui sert de conclusion sont traduits in extenso ainsi qu’au point 15, l’exemple du singe, typique du style imagé des sermons de l’auteur. Les autres sont des résumés des dix-huit qualités qu’un bon chrétien se doit d’acquérir, s’il veut vivre l’exil ici-bas avec fermeté et arriver ainsi dans sa vraie patrie, le salut étemel.

En 1513 parut sous le titre Peregrinus un ouvrage plus complet reprenant sous une forme nouvelle le modèle du pèlerin. L’auteur est présenté par la revue Saintjacquesinfo (lien en fin d’article).

Comme le dit saint Paul : « nous n’avons pas de cité permanente, mais nous sommes à la recherche de la cité à venir » (Heb 13,14). Nous sommes pèlerins dans ce monde , selon ce que dit David : « Seigneur, je suis étranger et pèlerin ». D’où venons-nous ? Job en parle : « l’être humain est né de la femme, il vit peu de temps, un temps rempli de travail, il est d’humeur variable, tantôt joyeux, tantôt triste, aujourd’hui malade, demain guéri ». Nous nous agitons sans cesse... Puisque nous sommes pèlerins, il nous faut acquérir les comportements et les qualités des pèlerins, pour pouvoir arriver dans notre patrie céleste. Ces qualités sont au nombre de dix-huit.

1 - Le pèlerin doit d’abord payer ses dettes avant de partir. Le pèlerin spirituel doit aussi régler ses dettes, d’abord ce qu’il doit à son voisin, car si nous avons de quoi manger et nous vêtir, cela doit nous suffire ; aussi donner à l’empereur ce qui revient à l’empereur ; mais il faut aussi rendre à Dieu ce qui revient à Dieu. C’est avec une vraie pénitence, et aussi en pardonnant à son prochain, que le pèlerin chrétien peut être pardonné « Remets-nous nos dettes, comme nous avons remis à nos débiteurs » (Mt 6, 12). Si c’est trop difficile, il peut se réfugier dans les souffrances du Christ qu’il peut offrir à Dieu pour ses péchés.

2 - Le pèlerin fait son testament. Le pèlerin spirituel doit faire son testament sans différer. Le prophète Esaïe dit : « Mets ta maison en ordre, car tu vas mourir, ta vie s’arrêtera ». Et le Seigneur dit : « Veillez, car vous ne connaissez ni l’heure, ni le jour » (Mt 24, 42). De même Saint Augustin dit : « Celui qui t’as promis d’oublier ton péché dès le moment où tu t’en repens, ne t’as pas promis par là que tu vas continuer à vivre ». Salomon dit : « Ce que ta main peut faire, fais-le vite, car dans l’enfer il n’y a ni œuvre, ni raison, ni savoir-faire, ni sagesse ».

3 - Le pèlerin prend congé de ses serviteurs ; il leur dit comment vivre et leur ordonne d’obéir à la maîtresse de maison. Lorsqu’il prendra congé de la sorte, le personnel pleurera. Quels sont donc ces serviteurs que le pèlerin chrétien doit quitter ? Ce sont les choses de ce monde, à savoir les appétits de la chair, les désirs de richesse et d’honneurs. La chair et le sang ne pourront hériter le royaume des cieux. Autant de zèle et d’efforts tu auras mis à ingurgiter des choses terrestres, autant d’efforts et plus te faudra-t-il pour tout régurgiter. Lorsque dans l’ancienne Alliance on voulait sacrifier un pigeon, on lui arrachait la tête et on le jetait dans le feu vers le levant. C’est ainsi que tu recracheras les pelotes de rejection de tes péchés dans les cendres, car tu dois considérer que tu es cendre et pourriture, destiné à retourner à la cendre et à la pourriture. Que signifient les serviteurs dont tu dois te rendre maître et que signifie l’obéissance à la maîtresse ? Ce sont tes sens intérieurs et extérieurs qui doivent obéir à la raison. Ils doivent être soumis, comme le centurion soumet ses serviteurs (Mt 8, 8-10). L’être humain doit être maître de lui-même, si bien que s’il dit à une pensée ’viens’, elle viendra ; et s’il dit ’va-t-en’, elle s’en ira. La raison est maîtresse dans la maison de l’âme. Si elle est présente et qu’elle veille, les sens sont tous dominés, et chacun agit selon ce à quoi il est destiné. Mais si la raison s’oublie elle-même, il se développe un tel désordre dans l’être humain, que tout est sens dessus dessous. L’être humain doit donc s’exercer à soumettre ses sens par la raison et les maîtriser de main forte.

4 - Le pèlerin se prépare pour partir un sac en cuir avec du pain, du vin et de quoi allumer un feu. Ce sac est pour le chrétien la foi vivante. Il n’y a qu’un seul sac, car il n’y a qu’une seule foi, un seul baptême, selon ce que dit Saint Paul (Ep 4, 1-6). Le cuir du sac est fait de l’exemple des saints martyrs.

5 - Le pèlerin doit avoir de bonnes chaussures, mais elles ne doivent surtout pas être neuves. Les vieilles chaussures signifient les vertus exercées longuement et avec efforts. Il n’est pas bon pour un chrétien non aguerri de s’élancer vers la patrie céleste en croyant qu’il va y arriver sans délai.

6 - Le pèlerin doit avoir un large chapeau pour se protéger des intempéries. Ainsi, comme le dit saint Paul (He 10, 36) le chrétien doit avoir une grande patience pour supporter les difficultés de la vie.

7 - Le pèlerin doit avoir un bon et grand manteau. Celui-ci représente pour le chrétien la grande famille chrétienne, la communauté des croyants dans laquelle on apprend à aimer Dieu, s’aimer soi-même, aimer son prochain (Mc 12, 31) et même l’ennemi . Le chrétien doit arriver au ciel avec ce manteau. S’il ne l’a plus, le Christ dira : Jetez-le dehors. Sous la croix le manteau du Christ ne fut pas partagé et coupé en pièces ; ainsi le chrétien doit lui aussi garder le manteau de l’amour intact jusqu’à la mort.

8 - Le pèlerin doit avoir sur lui des pièces de monnaie, qui représentent pour le chrétien les souffrances du temps présent. Geiler en donne une énumération.

9 - Le pèlerin doit avoir un bon bâton, ce qui signifie une espérance forte en Dieu, comme celle de Job. Avec une série de citations bibliques, Geiler montre que l’espérance permet au chrétien de tenir debout.

10 - Le pèlerin ne doit pas s’encombrer de trop de nourriture ou d’habits. Le chrétien ne doit pas posséder trop de bien. Comme le dit saint Paul à Timothée, « sachons être satisfaits de ce que nous avons » (1Tm 6, 8). Geiler ne précise pas le sens qu’il donne à ces nourritures et habits. Mais il invite à la modération et au partage. Comme le dit saint Jacques : « Si un frère ou une sœur n’ont pas de vêtement, rien à manger pour aujourd’hui, et vous leur dites : « J’espère que tout ira bien pour toi, que tu auras chaud, que tu auras à manger. Qu’est-ce qu’ils y gagnent tant que vous ne donnez pas à leur corps le nécessaire ? » (Jc 2, 15).

11 - Le pèlerin doit se trouver des compagnons bons et agréables, il rappelle les voyageurs que le Christ a rencontré sur le chemin d’Emmaüs, devenus des pèlerins célèbres et invite à se méfier des gens paresseux, traîtres ou portés sur les amusements. Derrière eux se cache souvent le diable dans la vie quotidienne. Geiler explique encore comment manger, ni trop pour ne pas s’alourdir, ni trop peu pour ne pas faiblir, lorsqu’on se met au service de Dieu.

12 - Le pèlerin doit cacher son trésor pour ne pas se faire voler. Pour le pèlerin chrétien, son trésor, ce sont les œuvres bonnes ; celui qui les vole, c’est le goût des honneurs. Se vanter des œuvres pour se faire valoir, c’est les perdre. « Gardez-vous de pratiquer le bien devant les hommes pour vous faire remarquer. Votre Père vous reconnaitra dans les Cieux » (Mt 6, 1). Ce goût des honneurs est suscité dans l’âme chrétienne par un esprit mauvais.

13 - Le pèlerin ne doit avoir cure des moqueries. La vie du chrétien entraîne nécessairement la moquerie des autres. Tu es à plaindre si, par peur des moqueries, tu refuses de quitter la maison des péchés, sous-entendu au lieu de te mettre en route vers le royaume de la félicité. Ecoute la parole de Jésus « Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Demeurez en moi et vous porterez du fruit » (Jn 15, 5).

14 - Lorsque le pèlerin arrive dans une ville où on vit dans les plaisirs, il se tient à l’écart. De même le chrétien ne doit pas s’installer dans les plaisirs terrestres. Il sait qu’il vit dans la vallée des larmes. Geiler cite en exemple les Chartreux et leur mode de vie très austère.

15 - Le pèlerin ne doit pas commencer son pèlerinage par des étapes trop longues. Le chrétien ne doit pas entreprendre des exercices spirituels trop difficiles au début de sa vie de foi, sinon il se décourage et devient incapable de faire des bonnes œuvres même simples. Ce chapitre contient un exemple typique pour la manière de prêcher de Geiler : « L’esprit mauvais trompe ceux qui veulent trop en faire pour impressionner les autres ; c’est comme un chasseur qui veut attraper un singe ; il s’assied sous l’arbre sur lequel se trouve le singe, il met des chaussures à lacets, il les ferme bien, puis il les enlève et les laisse sous l’arbre ; puis il se cache à proximité. Le singe descend promptement de l’arbre et met les chaussures, comme il a vu le chasseur le faire. Puis survient le chasseur qui attrape le singe qui ne peut plus remonter dans l’arbre avec ses grosses chaussures. C’est ainsi que le mauvais esprit attrape les gens en leur proposant des exercices trop difficiles. C’est ce dont il faut se méfier, ces grosses chaussures par lesquelles le chasseur, je veux dire par là l’ennemi, veut nous tromper ».

16 - Le pèlerin doit se comporter avec bon sens et précaution devant l’aubergiste. Il ne se réjouit pas si celui-ci lui sert d’excellents plats ; en effet, il faudra bien les payer. Si le chrétien a trop de bonheur, le malheur ne va pas tarder à arriver. Si en outre l’aubergiste fait payer trop cher, il ne faut pas se mettre à discuter. Le chrétien ne doit pas commencer des querelles en cas de dommages subis ; il vaut mieux les supporter en silence.

17 - Le pèlerin se rappelle sans cesse sa patrie. Quand il arrive des malheurs au chrétien, il pense au royaume promis et à la joie étemelle qui l’attend.

18 - Ce point représente aussi la conclusion du texte. Pendant ses pérégrinations le pèlerin finit par se faire totalement dévaliser ; alors il se met à mendier de maison en maison, jusqu’à son retour dans sa patrie. Tu dis : si j’étais ainsi pourvu de toutes ces choses nécessaires comme le pèlerin dont je viens d’entendre parler, j’aimerais aussi me mettre en route sur le chemin de Dieu. J’ai perdu le grand chapeau de la patience ; et puis mon bâton de l’espérance est mal en point ; je n’ai pas le grand manteau de la communauté chrétienne. Alors écoute ce que fait le pèlerin : lorsqu’il a perdu tout ce qu’il avait, il se met à mendier et va de maison en maison, de rue en rue, jusqu’à ce qu’il ait recueilli assez pour rentrer chez lui. De la même manière un bon pèlerin chrétien doit, dans sa prière, se tourner avec le plus grand sérieux vers Dieu et tous ses bons anges et ses saints ; qu’il leur demande instamment les aumônes spirituelles et tout ce dont il a besoin, avec une espérance qui ne doute pas. Il ne doit pas se lasser d’implorer leur aide, jusqu’à ce qu’il arrive au portail qui ouvre la patrie de la félicité éternelle. Alors il laisse dehors le sac de la foi vivante et le bâton de l’espérance. Mais le manteau de la communauté des croyants, il le prend avec lui pour entrer. Alors tous ses frères croyants viennent l’accueillir en grande liesse, je dirais même l’armée céleste entière. Plus aucune difficulté ni aucun malheur ne lui arriveront plus alors. Que nous puissions de la sorte parcourir le chemin de Dieu et entrer ainsi dans cette nuée d’élus : que Dieu veuille nous l’accorder.

Amen.


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