saint Jacques et Compostelle
Vraie menace ou peur injustifié ?
soldats sous l’habit du pèlerin (dimanche 25 novembre 2007)
Le 4 août 1578, le jeune roi Sébastien de Portugal meurt sans héritier. Son grand-oncle Henri le Cardinal lui succède, pour éviter que le trône n’échoie à Philippe II roi d’Espagne. Celui-ci le revendique en tant que fils d’Isabelle de Portugal et veuf de Marie de Portugal (†1545). L’enjeu est d’importance : la péninsule ibérique tout entière serait unifiée et surtout les immenses possessions portugaises outre-mer seraient en possession de l’Espagne. Ni les Français ni les Anglais ne sont favorables à cette solution. Les Anglais multiplient les expéditions corsaires contre les Espagnols (c’est le moment où sévit le fameux Francis Drake). Henri le Cardinal meurt le 31 janvier 1580. Pendant les dix-huit mois de son règne, Philippe II a multiplié les contacts mais s’est rendu compte que les Portugais lui préféraient un souverain national, Antoine, bâtard de la famille royale. Les deux textes ci-dessous sont présentés par Pablo Arribas Briones* et traduits par Carlos Montenegro. Ils montrent clairement qu’au printemps 1579 le roi d’Espagne craignait que des troupes françaises ne viennent soutenir Antoine pour la succession portugaise. L’avant-garde française n’était-elle pas entrain de pénétrer par surprise, déguisée en pèlerins (une sorte de cheval de Troie) ? Il ne s’agit pas encore ici d’une réglementation des pèlerinages, mais d’une prise de conscience de la nécessité de contrôler les flux de pèlerins lorsqu’ils prennent une trop grande importance. Dès la mort d’Henri le Cardinal, Philippe II n’hésita pas à envahir le Portugal pour y prendre la couronne que d’aucuns lui contestaient.

Textes de Pablo Arribas Briones* :

Ils sont très éloquents ces deux documents acquis par les Archives Générales de Navarre dont je prends la transcription faite par Fernando Vidégain. Il s’agit de deux dépêches du roi Felipe II adressées au gouverneur de la Citadelle de Pampelune, datées et signées à Madrid par le propre roi.

Dans la première il est écrit :

"Don Fernando de Espinosa, notre gouverneur de la citadelle de Pampelune, ayant appris que dernièrement sont entrés petit à petit dans nos royaumes une grande quantité de français en habit de pèlerins avec la justification qu’ils vont en pèlerinage à Santiago et qu’il en reste beaucoup d’autres en France pour venir avec le même habit, parce que nous souhaitons savoir ce qu’en réalité il se passe, nous vous chargeons et ordonnons que dès que celle-ci vous parvienne, droitement et avec beaucoup de dissimulation et secret, essayiez d’écouter les français qui sont rentrés dans cette partie du royaume dans l’habit de pèlerin signalé et s’ils sont des hommes ou en partie des enfants et des femmes et de quel âge ils paraissent, et si c’est pour aller en pèlerinage à Santiago comme ils le font d’habitude, ou avec quelle destination et pour combien de jours ils continuent vers cette autre destination, ou si c’est dans le but d’aller au Portugal et le chemin qu’ils prennent pour continuer leur voyage, et si en France il y en a encore dans le costume indiqué qui souhaitent venir entrer dans les royaumes signalés et dans quelle partie du royaume et combien dans chaque endroit et tous les autres renseignements qui vous paraîtront que nous devons connaître ; Faisant tout cela de manière qu’on ne sache pas que c’est sous notre ordre et vous nous préviendrez en particulier de ce qu’il y a et de ce que vous avez trouvé et vous tiendrez bien compte et ferez attention à essayer de vous renseigner sur tous ceux qui sont venus et sont rentrés dans cet habit et leur destination et les chemins qu’ils empruntent et vous irez nous informant.
A Madrid, le cinq avril de l’an MDLXXIX."

La deuxième dépêche,

quelques jours plus tard, montre de semblables préventions devant un contingent de français qui, en costume de pèlerins, vient faire le pèlerinage à Saint-Jacques de Galice. Dans « cette équipe viennent deux cents avec leur drapeau et leur tambour », ce qui justifie les soupçons du roi qui commande au gouverneur de la Citadelle de Pampelune :

"… que si comme on dit ils viennent avec drapeau et tambour, vous les préviendrez qu’ils ne peuvent pas rentrer avec, mais dans les formes et manières habituelles, et que s’ils veulent le faire avec les dits drapeau et tambour on ne leur permettra pas et ceci sans leur faire comprendre qu’il s’agit de notre ordre sinon que vous le décidez de votre propre chef, et pour le reste qu’ils soient bien traités et vous nous informerez de ce qu’il advient.
A Madrid, le premier mai de l’an MDLXXIX."

Dans la recommandation de « beaucoup de dissimulation et secret » et dans la répétition de l’ordre de faire croire que les enquêtes sur les intentions des français ainsi que les possibles interdictions sont à l’initiative de Don Fernando de Espinosa, on comprend que Felipe II est conscient qu’accomplir le pèlerinage jacquaire est chose admise et une coutume qu’il n’est pas prudent de gêner. Le roi va jusqu’à recommander que les pèlerins « soient bien traités » et pour sauver le prestige du pèlerinage et le sien propre en tant que gouvernant, il prend soin de faire adopter son ordre royal de motu propio par le gouverneur de Pampelune .

* "Pícaros y picaresca en el Camino de Santiago", P.A.Briones, Burgos 1999, p.35-36


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